Contre la suspicion généralisée, les vertus du dialogue

Un billet d’humeur d’un des enseignants-chercheurs et praticiens de L’Institut EUROMEDIATION, spécialiste du dialogue inter-convictionnel, inter-culturel et inter-religieux non théologique… 

EUROMEDIATION se tient à la disposition des groupes, ONGs, établissements ou institutions qui voudraient mettre en place des séances facilitées de dialogue structuré ou une formation animée par nos professionnels.


Contre la suspiscion généralisée, les vertus du dialogue

Le « débat public » français, celui auquel nous assistons à la radio, à la télévision ou sur internet présente depuis longtemps des contradictions et des impasses qui deviennent intenables après les événements de ce début année. Nous réclamons l’unité mais nous faisons en sorte que celle-ci vole en éclat dès qu’il s’agit de résoudre des problèmes communs. Nous clamons le droit d’avoir des émotions mais nous en avons peur dès qu’elles s’expriment car nous ne savons pas les gérer. Nous aurions sans doute intérêt à cesser de débattre et à commencer un dialogue véritable. De nombreuses associations en France et au delà rassemblent aujourd’hui juifs, musulmans, chrétiens, religieux ou athées pour contrer la stigmatisation et les amalgames sur des principes de respect de l’Autre et de refus catégorique de la violence. Leur arme privilégiée: le dialogue structuré, très différent du débat puisqu’il promeut collaboration et écoute dans un objectif d’apprentissage. Ce travail est malheureusement encore trop méconnu ou négligé en France. C’est pourtant de lui que proviendra le salut de notre cohésion sociale.

La suspicion est présente dans tous les esprits et les fameux « amalgames » naissent  de cette suspicion. Car cette appréciation globalisante d'un Autre qui ne pense pas comme nous est la source même du totalitarisme mental et politique qui peut émerger chez les Hommes. Après l'union nationale des premiers instants, chacun a eu la tentation - et beaucoup y ont cédé - de la division et de l'anathème sur une communauté. La grande question pour beaucoup de personnes non musulmanes descendues dans la rue le 11 janvier était de savoir si un nombre signifiant de musulmans allait se déplacer pour l’occasion. Le préjugé selon lequel les musulmans justifient le terrorisme a une forte capacité de résistance dans les esprits. Paradoxe de la société française qui refuse l’idée d’une distinction entre communautés mais qui ne manque pas une occasion pour désigner un maillon faible parmi elles lorsqu’une crise survient. Cette demande de «désolidarisation» d’avec les terroristes relève de l'injonction contradictoire pour une bonne partie des français musulmans à qui on demande par ailleurs d'abandonner leur esprit communautaire pour s'assimiler à la culture dominante. Elle est également ressentie comme une grande injustice car nombreux sont les musulmans qui en privé comme en public s’expriment pour réprouver les attentats alors que les attaques contre les musulmans en France ne sont généralement pas condamnées avec autant de force par le reste de la société. 

Le problème de la cohésion sociale ne se situe pas dans la volonté d'un groupe de clamer fort sa condamnation des attaques. Il se situe dans les jugements figés que nous avons construits les uns sur les autres et dans la détérioration de la relation entre ce qu'il faut bien appeler les Français de culture ou de religion musulmane et les «autres Français». Cette relation détériorée, il faut la restaurer en reconstruisant la confiance. Cela prend du temps et des actions à divers niveaux dont celui de l’éducation. Cela prend aussi beaucoup de conversations authentiques entre citoyens. Ces échanges permettraient à chacun d’exprimer leurs émotions, sans que celles-ci soient perçues comme une menace à la paix sociale. Car si les attaques et les invectives sont forcément contre productives et appellent fatalement l’escalade, les émotions, elles, sont toujours légitimes. Vous êtes musulman et vous souffrez de l’amalgame? Vous avez le droit de le dire. Vous êtes athée et craignez pour votre liberté de pensée? Vous pouvez exprimer cette crainte. Vous vous considérez comme Français de souche et vous avez l’impression que la France change trop vite? Parlons en. Vous êtes d’ascendance immigrée et vous ne vous sentez pas acceptés? Expliquons nous. 

On confond souvent l’émotionnel avec la violence. C’est une grande erreur. Nos émotions sont nos meilleures alliées pour mieux nous comprendre. Malheureusement peu de gens sont disponibles pour écouter les émotions des autres puisqu’ils sont trop occupés à faire reconnaître les leurs. Et pourtant chacun a besoin de cette écoute, de cette reconnaissance, particulièrement en temps de crise. Le dialogue, outil structuré pratiqué par des professionnels, permet de se rendre compte que reconnaître la souffrance ou les peurs de l’autre ne remettra pas en question la légitimité de mes propres souffrances et de mes propres peurs. C’est également le cas pour les valeurs. La liberté d'expression est peut être une réalité culturelle et politique spécifique à ce que l'on appelle l'Occident. L'universalisme de cette valeur n'existe peut être pas – et même s'il existe, il est contre-productif de vouloir l’imposer. Mais cette valeur n'en est pas moins très ancrée et même sacrée chez les « occidentaux », tout comme le respect de Dieu et des prophètes est sacré chez les Musulmans. Il doit y avoir un moyen de s'entendre pour que les deux valeurs puissent coexister. Athées et religieux doivent pouvoir vivre ensemble, se critiquer sans s'entretuer. Ce moyen, c'est le dialogue facilité. La méthode a déjà fait ses preuves. Dès l'affaire des caricatures danoises, La liberté d’expression et le respect de la religion ont fait l'objet d'échanges très constructifs entre des milliers de personnes qui n’avaient pas les mêmes opinions ou sensibilités. Les politiques étrangères occidentales, les soulèvements arabes, l’affaire du voile, le conflit Israélo-Palestinien, sont autant de sujets qui ne font pas peur aux facilitateurs chevronnés. Car à travers leur savoir faire, les personnes qui ont la chance de participer à ces réunions réussissent à appréhender d’où viennent des points de vues qu’ils ne partagent pas forcément et le lien social s’en trouve ainsi renforcé. 

La tentation est grande pour les pouvoirs publics de se focaliser sur l’action sécuritaire et répressive mais il convient de soutenir massivement et durablement les initiatives de dialogue en France et au delà. Les mouvements radicaux essaient de surfer sur notre tendance à nous affronter pour diviser notre pays. Il serait bon d’en rester conscient au jour le jour et de contrecarrer cet effort en travaillant pour l’union : aller à la rencontre de l’Autre, sans condescendance, sans peur et sans préjugé. 

Photo : © Pascal Fayolle/SIPA

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